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    RABADILLA DE GALLO RESBALADOR (*)

     

     

         Il est des coutumes curieuses que l’on découvre au fil des voyages pour peu que l’on s’intéresse à la vie de nos contemporains. C’est ce qui fait tout l’intérêt des voyages : un enrichissement permanent.

         Au hasard.

         Lors d’un passage dans la province des Asturies, dans le nord de l’Espagne, j’ai découvert le plat fameux que l’on nomme dans la langue du pays : Rabadilla de gallo resbalador. Ne le cherchez pas dans les grands restaurants pleins de touristes, vous ne le trouverez pas. Enfoncez vous plutôt à l’intérieur du pays, loin, dans les campagnes qui ont gardé intactes leurs traditions.

         Avec de la chance, dans un petit hameau isolé, vous pourrez vous en faire servir chez l’habitant.

         Dans la salle à manger sombre, assis sur le banc long, vous humerez d’abord le parfum qui filtre de la marmite accrochée dans l’âtre, au-dessus du foyer de troncs d’eucalyptus. Et si vous avez su plaire, « el hombre » vous contera l’histoire de ce plat dont l’origine se confond avec l’émergence de l’humanité.

         Mais d’abord, il vous servira le « quisquilloso ». Car  ‘par là’, on a le sens de l’humour. Quisquilloso veut dire ‘chatouilleux’. C’est une boisson à la couleur incertaine servie dans un verre avec un petit manche. Et vous goûterez alors pleinement leur sens de l’humour quand après y avoir ‘trempoté’ la lèvre supérieure, les larmes vous couleront en déluge au travers des paupières en feu et que vous entendrez votre œsophage lancer un cri d’alerte maximum à l’estomac qui verrouillera toutes ses issues. En vain !

         - « C’est fait avec de la peau de porc macérée dans du sang de vache qui vient de vêler. »

         - « Je le fait moi-même » ajoutera t-il en vidant son verre cul-sec.

         Après que vous ayez un tant soi peu récupéré, selon votre constitution entre ¼ d’heure et une semaine, el hombre poursuivra :

         - « Entendîtes-vous de par nos profondes campagnes...

    (Je traduis le patois du coin, autrement cela ferait 

         - « Z’avions ti ouï din l’fin fond d’not cambrouss’…)

    Je retraduis en langage courant :

         - « Avez-vous déjà entendu de très bon matin le chant du coq ? »

         - « Oui ! Certainement » répondra t-il à votre place.

         - « Mais l’avez-vous entendu par ici, dans nos campagnes presque abandonnées ? »

         - « Non, surement pas » (Vous alliez le dire)

         - « Et bien restez jusqu’à demain, levez vous à 4 heures et partez dans les sentiers. Parce qu’ils sont partout les coqs, en liberté, pas comme chez vous à passer leur vie derrière un grillage. Ici c’est une race particulière, adaptée au terrain.

         Vous avez remarqué, ce n’est pas plat, ce n’est même rudement pas plat. Que des coteaux, des pentes, pas de lignes droites, que des obliques. Des diagonales dirait mon petit fils.

         Alors, dès le réveil, à l’aurore naissante, quand les rayons blêmes de l’astre émergeant auréolent de feu la brume des prairies humides, ragaillardis par une nuit passée à la belle étoile et couverts de rosée, les coqs s’élancent sur les pentes herbeuses, les pattes relevées, le croupion formant luge et jettent au ciel un ‘cocoricooooooo’ qui commence puissamment et qui au fil de la pente va crescendo  et d’avantage encore quand l’animal prend de la vitesse pour finir en apothéose dans les ‘contre-ut’ que seules atteignent les plus talentueuses divas.

         Arrivés en bas, hébétés, ivres de plaisir, les voilà qui remontent et reprennent leurs courses insensées. »

         Votre interlocuteur alors fait une pause, essoufflé, comme s’il avait lui-même effectué cette glissade. Une larme lui coule au coin de l’œil à la pensée du plaisir de la bête (c’est un tendre).

         -   «  Voyez-vous, Monsieur, reprendra t-il, sérieux, nos coqs depuis tant de générations et tant de glissades ont développé un croupion que vous ne verrez à aucun autre derrière de gallinacé.

         Les nôtres, (il veut parler de ceux des coqs) sont larges comme la main, à la fois ferme pour résister aux accidents du terrain, et tendres à l’intérieur pour que la bête ressente toutes les émotions tactiles. De plus, à chaque glisse, ils s’imprègnent de toutes les senteurs des végétaux qu’ils arasent, de tous les arômes des bonnes plantes de notre campagne.

        Nul besoin de les accommoder de ceci ou cela, tout est déjà à l’intérieur. » »

     

         C’est vrai ! Je peux le dire, j’y ai goûté.

         Une ‘Rabadilla de gallo resbalalor’, qui remplit l’assiette ne se décrit pas, ne se raconte pas. En la dégustant elle m’emporte dans les prairies humides et je dévale les pentes avec les coqs dans une ivresse infinie.

     

         - «  Vous reprendrez bien un verre de quisquilloso » dit mon hôte, malicieux.

      

    * Croupion de coq glisseur

     

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