• nom d'un chien

     

     

    Pour l'achat du premier chien, on hésitait. On cherchait la grosse bête, genre dogue allemand ou lévrier irlandais, immense et gentil.

    Pour nous décider nous sommes allés chez le marchand de chiens.

    Un peu comme on va chez le marchand de légumes choisir ses carottes et ses poireaux. Le magasin était immense. Comme il ne nous fallait qu'un article, nous n'avons pas pris de caddy à l'entrée.

    Il y avait là des chiens de toutes les tailles et de toutes les couleurs, du chihuahua  d'un kilo au dogue du Tibet de 80 kilos.

    -"Nous voulons un gros chien" demandons-nous au vendeur

    -"j'en ai" nous répond-il. Je viens d'en recevoir une palette, vous allez faire une affaire.

    On aurait du se méfier. Il faut toujours penser que dans un magasin c'est toujours le vendeur qui fait une affaire. Si vous pensez en avoir fait une, c'est que le vendeur en a fait une bien meilleure.

    Il nous emmène dans son entrepôt, histoire de montrer que nous ne sommes pas des clients ordinaires mais presque des amis. Effectivement il y avait, là, une palette de chiens pas encore déballés.

    -"C'est du teckel du Népal, une espèce rare, nourrie jusqu'à 6 mois au lait de yak, c'est ce qui lui donne cette couleur ambrée. Vous allez épater vos amis, et vos voisins vont en crever de jalousie.

    Comme vous êtes mes premiers clients pour cet article, je vous le laisse à 7 500 euros. C'est un placement. Vous pouvez même choisir celui que vous voulez."

     Nous hésitons. 7 500 euros, quand même, pour une saucisse montée sur quatre allumettes.

    -"Ça mange presque rien et il n'y a pas d'entretien. Une gamelle de croquettes ordinaires par semaine, un lavage tous les trois mois et vous pouvez le revendre dans 10 ans avec bénéfice."

    Évidemment, vu sous cet angle.

    Nous sommes rentrés à la maison avec le teckel du Népal. Nous avions préparé pour le lévrier irlandais une niche de 20 m² et un panier de deux mètres cinquante de diamètre que le teckel ignora dédaigneusement.

    Nous l'avons appelé Bernard, ce qui ne servait strictement à rien, vu qu'il n'a jamais répondu à son nom ni d'ailleurs à aucune de nos paroles. Il n'est jamais venu près de nous et restait insensible à nos caresses.

    Il a tout de suite choisi sa place dans la maison : contre la porte extérieure. Nous habitions alors une maison ancienne dont la pièce unique et principale donnait sur l'extérieur, sur le jardin. Bernard s'allongeait de tout son long le long de la porte, comme ces boudins que l'on dispose parfois pour protéger du vent et du froid extérieur. Quand il nous fallait sortir, en ouvrant la porte nous le faisions glisser, et il restait là, de travers, puis après un temps variable, reprenait sa place.

    Il faut reconnaître que l'hiver c'était bien pratique. C'était une porte ancienne avec les bords mal joints et de plus, avec l'usure de la pierre d'entrée, le bas laissait passer beaucoup plus d'air que nous n'en souhaitions. Grace à Bernard nous économisions l'achat d'un boudin et nous passions des hivers confortables. Le seul problème c'était que lorsque nous ouvrions la porte puis la refermions, Bernard ne reprenait pas tout de suite sa place et le vent froid entrait par dessous la porte. Mais nous avons vite trouvé une solution à ce problème. Je lui ai confectionné un harnais et j'ai scratché ce harnais à la porte. Ainsi en refermant la porte, nous ramenions Bernard dans sa position initiale : contre la porte. Je ne suis pas sûr qu'il nous en ait su quelque gré.

    Nous avons gardé Bernard huit années, puis nous avons déménagé. Nous avons vendu la maison avec Bernard, ce qui, le marchand avait raison, lui a donné une plus-value.

     

                        chien

                     

    Évidemment dans notre nouvelle maison, plus grande, plus moderne, avec des portes et des fenêtres en plastique et des serrures de sécurité 3 points, double canon, certifiés A2P2, il manquait quelqu'un.

    L'ombre (je n'ose dire l'âme) de Bernard était présente. Aussi, nous avons décidé d'acquérir un nouveau "compagnon à quatre pattes", comme on doit dire maintenant. Pour cela, nous retournâmes chez le marchand de chiens qui venait d'ouvrir sa 21ème  succursale dans les îles Féroé. Les clients sortaient de son établissement avec leur caddy rempli de chiens, de chats, de poissons rouges, de lézards, d'araignées, de singes, de tatous, de tamanoirs et de pandas à rayures. Il nous fit remplir un questionnaire avec des cases à cocher afin de déterminer ce que nous voulions exactement : la taille, le poids, la couleur, le caractère, l'usage que nous voulions en faire etc... Sans oublier tous les renseignements sur nos ascendants depuis trois générations. Il nous promis que dans quinze jours, il aurait "conçu" l'objet de nos désirs.

    Effectivement, deux semaines plus tard, il nous présentait un animal qui ressemblait à un cocker.

    -"Ce n'est qu'une esquisse, nous dit-il, un modèle de base. Je peux y apporter toutes les options désirables. Si vous le voulez avec des oreilles droites ou une queue en tire-bouchon, la maison peut le faire."

     Nous décidons de garder le modèle de base. Nous verrons par la suite s'il y a des "choses" à modifier. Le marchand nous proposa ensuite toute une série d'articles comme le nonos en caoutchouc qui fait pouêt-pouêt, la laisse qui fait pouêt-pouêt quand le chien tire trop fort et toute une série d'assurances et de services que nous avons refusées.

    Sauf l'option 12 que nous avons prise.

    Cela nous parut très intéressant. Parce que le problème du chien, c'est qu'il fait des crottes partout. On n'a pas encore appris à un chien à "aller au pot". Alors qu'un enfant de 3 ans a assimilé la chose, un chien de 20 ans n'a toujours pas compris. Une nouvelle société (aujourd'hui nous dirions start-up) "vous avez besoin de nous" a développé un service (aujourd'hui nous dirions concept) original. Si vous souscrivez à leur service, moyennant une "honnête" rétribution, ils vous remettent un douzaine de plaquettes

                                                                    

     etiquettes

           

           où figurent le nom de la société et un chiffre de 1 à 12. A cette plaquette est fixée 

             une tige métallique. Un peu comme les étiquettes plantées dans les mottes de

             beurre ou les viandes de bœuf.

     

     

     

     

    La chose est simple. Quand vous sortez le chien la première chose qu'il fait, c'est de crotter. Vous avez beau mettre une caisse de sable à côté de sa gamelle à croquettes, c'est toujours lors des promenades qu'il fera ses besoins.

     (Parenthèse)

     Dans la langue française le mot besoin revêt plusieurs sens, c'est ce qui fait la beauté de notre langue.

    Le besoin peut être l'envie irrésistible d'avoir quelque chose. Par exemple, la ménagère peut avoir besoin d'une casserole pour cuire les nouilles. Elle se précipitera donc chez le quincailler pour acquérir l'objet en question. Le besoin peut avoir des motifs moins pratiques. Monsieur peut avoir besoin de la nouvelle Ferrari GTC4Lusso 12 cylindres, rouge. Il empruntera ou hypothéquera ses biens dans le seul but de satisfaire ce besoin.

    Le besoin peut être immatériel, le besoin d'amour ou de reconnaissance.

    Quand on l'emploie au pluriel il revêt une toute autre signification. On dit "faire ses besoins"

    Ah! Quelle est belle notre langue !

    Pour expliquer ce que sont ces besoins, un peu d'anatomie s'impose. Quand vous ingérez des aliments, les éléments qui les constituent sont assimilés par l'organisme pour son bon fonctionnement. Mais les cellules produisent des déchets qui sont transportés vers les usines de traitement, comme le foie ou les reins, qui font le tri, et envoient vers l'intestin tout ce qui ne peut être recyclé. La vessie ou l'intestin, pour éviter le trop-plein expulsent alors plus ou moins régulièrement sous forme liquide ou pâteuse, de consistance variable ce que nous appelons "les besoins"  OUF !

     

    Donc le service de la start-up est simple. Vous sortez le chien. Le chien fait ses besoins. Pour vous, nul besoin de vous en soucier. Il suffit de planter l'étiquette n°1 dans le produit et la S U viendra le ramasser. Il suffit de leur signaler où s'est passé l'évènement.

    A l'époque de ce récit il n'y avait pas encore de téléphone portable, ni même de téléphone fixe chez les particuliers. Seules les entreprises ou les professions libérales en possédaient. Comme c'était un peut délicat de déranger le pharmacien ou le notaire pour ces affaires personnelles, le contrat prévoyait que l'on pouvait signaler l'évènement par écrit. Il suffisait de décrire l'emplacement exact et le jour et l'heure de l'affaire. On colle un timbre à deux sous cinquante et c'est parti. Le rêve.

    Et ainsi pour les 11 plaquettes suivantes. Puis on réglait un nouveau forfait pour douze autres plaquettes.

    Pour économiser un peu sur les fais d'envoi il était possible d'envoyer une carte postale avec un bouquet de roses par exemple. Ça fait toujours plaisir.

    Maintenant, pour réduire encore les frais de timbre et profiter le plus longtemps possible du forfait à quinze mille roupies les douze étiquettes, nous ne donnions à manger au chien qu'une fois par semaine. Dès qu'il avait enfourné gloutonnement toute sa ration, nous le sortions. Cela ne nous coûtait qu'une étiquette par semaine.

     

    Nous avions appelé ce chien Bernadette en souvenir de Bernard. Jusqu'au jour où nous nous aperçûmes que c'était un mâle.

     

    Bernadette ne vécut pas très longtemps.

    Ce qui est dommage, c'est que le jour de son décès il nous restait 4 plaquettes. Nous avons négocié avec la société de service pour être remboursé de nos 4 plaquettes, mais ce n'était pas prévu dans le contrat et ce fut une perte sèche.

    Nous les gardons quand même pour le prochain chien

     

     

     

     


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