• le voyage à Lille

    le voyage à Lille

     
     Marcel a 25 ans. il travaille dans une ferme à Saint Quentin où il s'est réfugié pour échapper au STO –Service du Travail Obligatoire- Nous sommes en 1945, la guerre est finie depuis peu. Ce jour là ...

     

     Ça devait être vers la fin du mois de septembre, c'était la fin de la guerre, on venait juste d'être libérés. On a été libéré fin août, ou le premier septembre. J'ai dit à la fermière :"je vais aller faire un tour à Lille" 

    "Vas-y" elle me dit.  

    Quand j'ai demandé pour avoir un train à la gare de Saint- Quentin, ils m'ont dit qu'il était supprimé. Mais il y en avait un qui allait jusqu'à Caudry. On l'appelait  "le Cambraisis". C'était un petit train, comme les petits trains de montagne. A l'intérieur il y avait des banquettes en bois. Il n'y avait pas d'allée centrale. Il y avait des compartiments fermés, mais sur le coté il y avait une allée pour aller d'un bout à l'autre du wagon. A Caudry il fallait que tu te débrouilles, soit que tu fais de l'auto-stop ou t'attends un autre train. Justement il y avait un autre train mais il fallait aller le prendre à un arrêt à l'autre bout de la ville. 

     Quelle cavalcade pour y arriver ! Je m'en rappelle bien. J'arrive à le prendre. Juste avant d'arriver à Valenciennes, il passait devant des usines, comme  Usinor. C'était des fonderies. Le train passait au milieu, c'était tout illuminé par les fonderies. Et là il fallait descendre. C'était  un petit peu avant Valenciennes. Il allait pas plus loin.  

    Alors là, là aussi il fallait courir jusqu'à la gare de Valenciennes. Là il y avait un train mais qui n'allait pas jusqu'à Lille. Je ne me rappelle plus où il s'est arrêté, mais c'était pas à Lille. J'ai du faire de l'auto-stop et il y a une camionnette de "la voix du nord" qui m'a pris jusqu'à Lille. 

    J'étais parti le samedi et j'arrivais le dimanche à deux heures de l'après midi. Fallait vraiment en avoir envie hein !

     

    Vous étiez seul ?

     

    Oui. Mais t'es jamais vraiment tout seul. Quand c'est comme ça, tout le monde se parle. Si tu vois un mec qui est plus dégourdi que les autres, tu cours après et tu demandes. 

    Ça m'est arrivé encore une fois où j'étais reparti à Lille. Là c'était le 30 octobre, toujours en 45. La patronne de la ferme elle me dit : "Je viendrai bien à Lille aussi " mais je suis parti tout seul, en zigzagant, avec le "petit Cambraisis"  Le lendemain, à Lille, j'vois arriver la patronne. Elle m'a dit qu'elle avait fait de l'auto-stop à Saint Quentin et elle est tombée sur un ministre. Il l'a prise jusqu'à Lille. C'est là qu'il allait. Je n'arrive plus à me rappeler qui c'était. Je m'occupais pas beaucoup de politique, mais on en a reparlé il n'y a pas longtemps de ce ministre. 

    Elle a eu de la chance. Mais elle pouvait pas rester longtemps parce que à la ferme c'était le bazar quand elle était pas là, à  cause de sa mère et de son homme. 

    Alors bon ! Le 31 octobre on a repris le train parce qu'il fallait être arrivé pour le premier novembre, pour la toussaint. Tu sais, dans ces trains là, il y avait pas de toilette. Pour pisser il fallait sortir. Le train roulait à petite vitesse. Tu voyais tous les mecs qui descendaient.

     

    Et après ils remontaient ? 

     

    Oui. Tu avais tout le temps, tu pouvais même faire la java.

    On était parti à cinq heures du matin, et à midi on n'était pas encore arrivé à Cambrai (distance Lille-Cambrai : 60 km)  La patronne était toujours avec moi.  

    Ça été une journée infernale. Mais moi j'avais le temps, je m'en foutais, j'avais l'habitude, je me cassais pas la tête en ce moment là. Dans l'après midi on était encore à Cambrai. On va jusqu'à la sortie de Cambrai pour faire de l'auto-stop. Là il y a un camion qui s'arrête et la patronne elle dit "on va monter". Je lui dis : "Non, on va pas y arriver avec un camion comme ça, il va s'arrêter en route ou quelque chose comme ça, et on va rester en plan" Elle a voulu le prendre quand même et un kilomètre plus loin, le temps de sortir de Cambrai il s'est arrêté et il nous a  laissé en plan. Le gars a été vache. Il aurait pu nous le dire avant. Je lui dis à la patronne : " Là où on est on trouvera personne. Pour faire de l'auto-stop, vous pouvez toujours courir".

     

    le voyage à Lille

       Il restait quarante kilomètres pour arriver à Saint Quentin et c'était pas un parcours de ville. Avant les routes n'étaient pas goudronnées comme maintenant. Il y avait des bas-côtés et de la berdoulle (boue)  partout et puis il commençait à faire froid au mois de novembre. 

     Et bien on a marché les quarante kilomètres.

       

     En plus, la patronne, elle était venue avec son neveu. Il avait 14 ou 15 ans, c'était un paysan, il avait jamais marché sur les routes. Ils ont souffert. Et encore, j'étais pas vache, parce je portais la valise. Je te jure, j'ai fait au moins le double de chemin parce avec je prenais leur  valise et  je partais en avant. Et puis comme je les voyais jamais arriver, je faisais demi-tour pour les retrouver et je leur disais : "Faut repartir, hein !" Moi je marchais et eux ils restaient en plan. Pour marcher, j'étais toujours en avance.  

    On arrive à cinq kilomètres de Saint-Quentin. La ferme était à cinq kilomètres de Saint-Quentin, mais pas sur la même route. Il a fallu passer à travers champs. C'était plein de berdoulle . Il était passé minuit quand on est arrivé.  

    Ça ne me faisait rien de marcher. 

     

    Quand même 40 kilomètres, faut les faire ! 

     

    Quand j'étais à la ferme, je faisais 10 kilomètres au matin et 10 kilomètres au soir. Et après quand j'ai travaillé à l'autre ferme, à Itencourt, c'était pareil,  10 kilomètres au matin et 10 kilomètres au soir. Et les paysans vivaient avec deux heures de différence. Quand il était huit heures à Saint-Quentin, il était six heures à la ferme. 

     

    J'ai toujours marché beaucoup. Quand avec mon frère on allait travailler à la gare de La Madeleine j'arrivais toujours une demi-heure avant lui. Pourtant, je freinais un petit peu.

     

     Qu'est ce que j'ai marché ... 

     

    C'est peut-être pour ça :  ça m'a profité.

     

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