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Bouddhas et rôdeurs - chap. 1
B O U D D H A S E T R Ô D E U R S S U R L A R O U T E D E L A S O I E
chapitre 1 : la combine
La route de la soie le contournait prudemment
Ce désert était pourtant habité depuis la préhistoire. Tant qu'il y avait de l'eau il y avait des oasis. Et l'eau venait abondamment des glaciers voisins. Les dynasties se succédaient et les civilisations florissaient.
Las ! Il arriva un temps où l'eau vint à manquer. Au IIIème siècle déjà ça diminuait. Les villes se vidaient au même rythme que les oasis s'asséchaient.
Au Xème siècle il n'y avait plus d'eau et plus personne.
Le désert était désert.
Le sable recouvrit tout : les maisons, les palais, les temples, les bibliothèques.
Des siècles passèrent dans le silence.
Le livre de Peter Hopkirk "Bouddhas et rôdeurs sur la route de la soie" raconte l'histoire des premiers personnages, à la fois archéologues, explorateurs et aventuriers qui dans des conditions épouvantablement difficiles ont ramené dans leurs pays des tonnes de "souvenirs" Un véritable pillage. Des milliers de manuscrits, certains vieux de mille ans, des tonnes de fresques découpées à la scie.
Je ne raconterai pas, ici, le détail de ces folles fouilles, mais l'histoire ahurissante des manuscrits du désert du Takla-Makan.
Une histoire dans l'histoire.
Aux alentours du désert du Takla-Makan des légendes parlaient de villes englouties par les sables, de trésors cachés, mais aussi de malédictions pour ceux qui oseraient les chercher.
A la fin du XIXème siècle quelques voyageurs commencent à s'aventurer dans ces parages et ramènent quelques objets, notamment un manuscrit du Vème siècle, écrit dans une langue inconnue qui a excité l'intérêt des chercheurs. Une compétition s'engage alors entre les Anglais, les Russes et les Français, à qui obtiendra le plus d'antiquités sorties du désert du Takla-Makan.
Mais la demande était si importante qu'il n'arrivait plus à fournir. De plus chercher dans le désert était très fatiguant et dangereux. Alors, il eut l'idée de fabriquer lui même les manuscrits. Avec du papier local qu'il vieillissait au feu, il traçait des signes copiés sur d'autres manuscrits.
Le marché était florissant.
Il fut bientôt reconnu comme le principal fournisseur. Les commandes étaient si importantes qu'il passa à la vitesse supérieure. Au lieu de recopier à la main les anciennes écritures, il fabriqua des "tampons" en bois" avec lesquels il pouvait imprimer "des manuscrits anciens"
De détaillant il devint grossiste.
Le deuxième personnage est mi-britannique, mi-allemand. C'est un orientaliste et linguiste distingué. Le meilleur, le plus grand, un maître. Celui dont la parole vaut loi. Nous l'appellerons monsieur "Je sais". Quelle aubaine pour lui, tous ces manuscrits. Mais malgré tous ses efforts il n'arrivait pas à percer le secret de cette mystérieuse écriture.
Pas étonnant puisque la majeure partie était des faux.
Tellement faux que d'autres linguistes commencèrent à avoir des doutes sur leur authenticité. D'autant plus, que "P'tit malin", là bas, à l'orée du désert s'était vite rendu compte que les européens ne savaient pas déchiffrer cette ancienne écriture et il se dit, dans sa tête de "P'tit malin" :
- " Pourquoi me fatiguer à fabriquer des tampons avec les signes de l'ancienne écriture ?"
Et il fabriqua de nouveaux tampons avec des signes de son invention. N'importe quels signes, placés dans n'importe quel ordre.Le marché florissait de plus en plus.
Là bas, en Europe, monsieur "Je sais" s'arrachait les cheveux. Quand il parvenait à commencer à trouver une cohérence dans la disposition des signes, PATATRAS ! De nouveaux rouleaux arrivaient qui bouleversaient toute sa théorie.
Un vrai casse tête chinois.
Alors que de plus en plus de voix s'élevaient pour mettre en doute l'authenticité des documents, monsieur "Je sais" mis fin à la querelle en déclarant péremptoirement et par écrit, que les manuscrits étaient AUTHENTIQUES.
Fin de la discussion.
Mais les "P'tit malin" finissent toujours par rencontrer des "Gros malin", plus malins qu'eux. Et "Gros malin" était justement en route vers le désert du Takla-Makan.
Nous sommes en 1900
Le troisième (et dernier) personnage que nous appellerons "Gros malin" d'origine hongroise était anglais. C'était à la fois un savant, un archéologue, un linguiste, un cartographe et un explorateur acharné. Son but était de fouiller systématiquement les citée ensablées du Takla-Makan et de ramener le plus d'antiquités possible. Il voulait aussi vérifier l'authenticité (ou non) des documents fournis par "P'tit malin" En fait, malgré l'avis de monsieur "je sais" dont il était l'ami, il pensait que les manuscrits étaient faux.
Il se mit donc en route, en partant de l'Inde. Il traversa la chaîne himalayenne,
puis le désert du Takla-Makan pour arriver à Khotan, le village de "P'tit malin"Par la suite il poursuivra sa route jusqu'à Karadong.
Des milliers de km à pied, à cheval ou à dos de mulet.
Un peu avant d'arriver dans le village de "Pt'it malin", "Gros malin" commença son enquête.
Il interrogea les autorités et les habitants. Résultat : les sites d'où "Pt"it main" prétendait avoir trouvé des manuscrits n'existaient pas.
Premier indice.
Mais peut être que "Pt'it malin" donnait de faux renseignements sur les endroits où il trouvait des manuscrits pour protéger ses sources d'approvisionnement ....
"Gros malin" arrive enfin à Khotan, le village de "Pt'it malin". Mais "Pt'it malin" était absent.
A fin de ses fouilles, il retourna dans le village de "P'tit" malin", bien décidé à le démasquer. Surtout que dans les manuscrits qu'il ramenait il n'y avait aucune écriture analogue aux caractères inventés par "P'tit" malin.
Quand "Pt"it malin" revint dans son village, "Gros malin" l'attendait de pied ferme. Il lui montra un paquet de faux manuscrits qu'il avait trouvé dans sa maison, mais "P'tit malin" continua de nier. Ces manuscrits, dit-il, lui avaient été apportés par ses associés. Mais les soi-disant associés avaient quitté le village depuis longtemps ou étaient morts. Lui, n'avait jamais fait de fouilles, jamais rapporté de manuscrits du désert.
Alors "gros malin" lui montra un livre écrit par monsieur "Je sais".
Dans ce livre, Monsieur "Je sais" rapportait une conversation entre "Pt'it malin" et un archéologue de passage, il y avait plusieurs années. Dans cette conversation, "Pt'it malin" racontait comment il fouillait les ruines des villages et en rapportait quantité de manuscrits....
Pris à son propre piège, en flagrant délit de mensonge, "P'tit malin" avoua tout : la fabrication du papier, les tampons en bois, les fausses écritures.
Preuve ultime, "Gros malin" découvrit un des fameux tampons qui avait servi à fabriquer les faux.
Gros malin" n'engagea pas de poursuites contre "Pt'it malin" qu'il considérait comme "un homme d'une intelligence exceptionnelle, qui possédait un esprit vif et plein d'humour".
La preuve, c'est que "P'tit malin" alla jusqu'à demandera à "Gros malin" de l'emmener avec lui en Angleterre.
"Pt'it malin" restera dans son village et aura plus tard des démêlés avec les autorités chinoises.
Pour "Gros malin" il restait une situation délicate à régler : informer son ami "Je sais" que les manuscrits étaient faux et qu'il s'était lourdement trompé dans son jugement. Il lui fallait établir la vérité, sans humilier son ami. Et comment réagirait celui-ci ? Surtout qu'il finissait d'écrire son deuxième article sur la traduction des manuscrits.
La rencontre entre les deux hommes fut amicale, mais monsieur "Je sais" fut complètement abasourdi par cette révélation. Heureusement pour lui il était respecté dans le monde des linguistes et aucun de ses confrères ne l'accablât. Au contraire tout fut fait pour minimiser l'information. Même dans le "journal de la royale société asiatique" il ne sera jamais fait mention de son erreur de jugement. Il vivra honoré et récompensé.
C'était une époque où le respect avait plus d'importance que le profit
Et, comme dans les contes de fées, "Gros Malin" fut anobli par la reine d'Angleterre.
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Tags : bouddhas, rodeurs, takla-makan, himalaya, route de la soie, peter hopkirk, manuscrits, kothan, fresque
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